Paulinea Brami



Artist based in Paris

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Barbara Beuken

Des doigts en éventail décalés de quelques millimètres les uns des autres font bouger comme des rémiges ses mains longues et fines.

Sa voix douce fait bruissement.

Souffle, glisse dans l’air, enveloppe.

Son regard intelligent passe de la sérénité à l’urgence puis de l’urgence à la sérénité.

Une translucidité la laisse apparaître derrière ses peintures. Paulinea Brami donne pourtant toute la place à un monde vaste et vivant. Le végétal, les insectes, et ici les oiseaux, sont les sujets de ses toiles. Ils sont représentés de manière figurative, bien qu’ils peuvent s’effacer légèrement pour donner forme à la vigueur du mouvement.
En arrière-plan, les strates de peinture (toujours à l’huile) aux couleurs minutieusement étudiées dissimulent des traits que fait réapparaître la matière par épaisseur. Ces légers reliefs figurent les ondes magnétiques terrestres dont les oiseaux se servent pour se guider et définir leur territoire, toujours un peu plus raboté par la cohabitation humaine.


Le travail de la couleur est fondamental dans la peinture de Paulinea Brami. Elle s’efforce de trouver celles qui rendront au mieux l’intensité magnétique, le mouvement, la finesse et la force du sujet. Dans des petits pots à confiture, elle réalise ses mélanges. La peinture est fortement diluée afin de pouvoir superposer des couches sans lourdeur. L’ensemble de ses recherches chromatiques se décline en bocaux de couleurs dispersés dans l’atelier, donnant au bleu la priorité, rappelant çà et là la puissance et la sérénité de celui qu’elle a déposé sur ses toiles. Mais il y a parfois une rage dans la peinture de Pauline Brami ; celle d’être témoin d’une violence subie, qui semble tomber sur l’oiseau. Il parait condamné à la fatalité .


Liège, qui abrite Pauline Brami pour un temps, est la ville natale de la philosophe et psychologue Vinciane Despret – auteure de « Habiter en oiseau » – à qui l’artiste ne manque pas de faire référence quand elle évoque son étude de la territorialité des oiseaux et de leur occupation de l’espace. Si Paulinea donne la part belle aux oiseaux c’est parce qu’ils sont les êtres symboliques du paradoxe qui fait le vivant d’allier force et vulnérabilité. Elle rend hommage, humblement, à cette fragilité apparente qui s’entremêle avec la puissance dégagée de la liberté qu’ils inspirent. L’idée de collectif et celle de système transparaissent par la disposition des œuvres dans l’espace, formant ensemble un mouvement ample et rond, de champs magnétiques et d’oiseaux en nuées.

Sans même plus la nécessité d’ouvrir les yeux, la légèreté solide de sa silhouette apparaît par transparence, au milieu des oiseaux.


Camille Paulhan 
Il serait trop facile d’écrire que puisque Paulinea Brami peint et assemble, cela ferait d’elle une peintre et une sculpteuse. Trop préoccupée par les matières qu’elle utilise pour leur attribuer une quelconque hiérarchie, elle serait peut-être plus semblable à une alchimiste –
ou à une magicienne, sans doute – qui viendrait d’abord se placer comme une contemplatrice de celles-ci, et des rencontres qu’elles génèrent. Après un séjour en Islande, profondément marquée par les forces volcaniques, elle s’intéresse au minéral non en tant
que matériau inerte, mais dans toute sa puissance tellurique. Dans ses toiles, elle laisse le support absorber des décoctions minérales aux couleurs tantôt bleu-vert cuivré, tantôt violemment orangées, rouges et jaunes. Ensuite, de délicats dessins d’animaux recouvrent ces supports imprégnés, dont les figures lui apparaissent au terme d’intenses séances de transe, dans lesquelles ceux-ci sont semblables à des guides bienveillants. Certains de ces phares très silencieux reviennent de manière récurrente : cygnes, biches, renards, loups… L’univers de Paulinea Brami serait celui des sous-bois, des forêts, mais aussi des espaces abandonnés qu’elle affectionne. Dans ceux-ci, elle glane des objets chargés d’émotions, qu’elle noue les uns aux autres : dans ses longues concrétions graciles, un anneau de mariage trouvé dégage autant d’énergie qu’une corne d’animal abandonnée sur le chemin, que de plumes, de papillons ou de plantes séchées. Au-delà de leur rôle apotropaïque, les œuvres de Paulinea Brami
sont semblables à de petits volcans endormis : comme des entités vivantes, elles ont leur existence propre et lentement patientent avant leur réveil.




Kairologique.fr
Léo Rivaud Chevaillier


Mardi 21 septembre 2021, Beaux-Arts de Paris. J’attendais avec une réelle impatience de découvrir les nouvelles oeuvres de Paulinea Brami, qui vient d’achever ses études aux Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Tatiana Trouvé, avec son exposition “Entités”. Par un heureux hasard, en observant les différents travaux présentés en fin d’année par les étudiant.e.s en juin 2019, j’avais découvert son travail avec une sculpture flamboyante, The ground is melting, particulièrement poétique et peut-être un peu triste – des pieds nus en cire se consumaient au sol, qui pourraient faire penser aujourd’hui à la présentation de la réinterprétation de l’Enlèvement des Sabines de Giambologna par Urs Fischer à la Bourse de Commerce, réalisée pour la première fois en 2011. Pour la Nuit Blanche en octobre 2019, Pauline Brami avait présenté une installation très différente, Nothing in the shell, visible alors au Centre de Recherches Interdisciplinaires de Paris. Déjà, son intérêt pour le magma des volcans islandais – elle a étudié à l’école d’art de Reykjavik, Listaháskóli Íslands – se cristallisait dans un cratère bouillonnant et glacial. L’exposition “Entités” s’inscrit dans la suite d’une autre installation, Transfigures in sealed times (mars 2020) et d’une série d’oeuvres graphiques, Courants (2020), où l’artiste explore les mystères de la nature et fabrique de nouvelles concoctions pour rendre ses rêves présents.

« J’invoque dans mes toiles et mes objets les entités familières et rêvées qui composent un monde en déstabilisation. J’interroge en même temps que je me relie, le cycle permanent d’apparition et de disparition de tous les êtres sur terre qui composent dans une ronde infinie le vivant permanent. » (Paulinea Brami)

Avec ses “Entités”, Paulinea Brami invite le regardeur à s’immiscer via des portails dans un univers enchanté, le sien, fait de créatures et d’environnements à la croisée d’un monde intérieur et de la réalité. Il y a quelque chose de l’ordre de la magie dans ces grandes toiles recouvertes de couleurs minérales, de forêts de symboles (Baudelaire), et entourées de cordages au fil desquels l’on imagine toutes sortes d’amulettes relevant, sans doute, de mythologies propres à l’artiste. Cette dernière invente elle-même, en partie, son matériel, sa peinture faite de pigments mélangés à l’huile de lin dans des bocaux, qui rappelle la façon dont le peintre Elliot Dubail (1989-2018) créait ses propres pigments. La présentation dans l’exposition de ces étranges bocaux participe au rituel, et donne un indice de ce qui est à l’oeuvre dans cette espace chimérique, liminal, où bientôt l’on reconnait des cygnes qui s’envolent, un cerf fantomatique, des loups ou des renards comme sur un blason médiéval, des corbeaux, des machines et des plantes d’une autre ère. La complexité des compositions de Pauline Brami invite tant à décrypter cette peinture de signes qu’à s’y perdre instinctivement, à se laisser envahir par tout un cosmos d’où la nature déborde, et que l’on espère explorer encore bientôt.



Emploifictif.net
Sarah Lolley et Camille Velluet


Paulinea Brami est de celles qui voient et font entendre ce que nous discernons à peine. Son travail où le flux règne en maître questionne l’essence de toute chose, sonde les couches terrestres, interroge les forces et les effluves telluriques et fait se mouvoir doucement un souffle de renouveau porté par une énergie ancestrale.

Cire, sel, huile et végétaux s’unissent dans des cartographies organiques qui décryptent des mouvements invisibles. Sur ses toiles conçues en plein air, cobalt et décoctions florales imprègnent le tissu, créant ainsi de nouvelles géographies aux allures stellaires. L’alchimie des matières qui se côtoient, les éléments naturels qui impactent la surface, façonnent un paysage en striures ténues. Sur ces étendues minérales, Pauline Brami dessine des formes qui débordent, s’épandent et s’échappent pour donner à voir d’autres champs de réalité.

Au CAC La Traverse, bien entourée des pièces de Caroline Le Méhauté, Hugo Deverchère et Anne Fischer, Pauline Brami a choisi à son tour de bercer doucement la matrice à travers un rituel d’offrandes à la terre. Performance thérapeutique dont on avait peut-être besoin, le rituel de l’artiste - libre inspiration des rites wicca - consiste à remercier chaque axe ; du nord, assimilé à tout ce qui nous précède, à l’ouest, pôle intimement lié au monde des idées et des fantasmes.

Bruissements de genoux et pas feutrés sont seuls à perturber le silence qui entoure Paulinea Brami lorsqu’elle dépose des talismans aux quatre coins de la toile, délimitant par les objets, les frontières de ce terrain nouvellement créé. Convoquant les gardiens, elle forme un cercle de sel, dans une chorégraphie de mouvements qui mêle manipulation d’objets chargés et incantations scandées et interrompues.

S’octroyant la liberté de s’approprier et d’expérimenter de nouveaux pouvoirs, Paulinea Brami a sa part d’invention dans ce rituel syncrétique, voyage vers des mondes intérieurs et souterrains. Dans la serre d’Arthur Guespin, devenue vaste forêt où chaque objet est partie qui devient tout, Pauline Brami nous a offert un moment suspendu, affranchi de l’espace et du temps ordinaires. Dans l’habitacle tapissé de ses topographies aléatoires qui viennent prolonger les parois de la serre, elle s’est recueillie pour remercier les quatre piliers dans un désir de reconnexion à la terre comme pour s’y enraciner.

Liturgie poétique proposée par l’artiste, ce rituel est comme un ancrage resituant nos repères vacillants. Rite réparateur empreint de magie blanche, il nous incite à nous recentrer autour d’un socle commun, à travailler ensemble pour retrouver une forme d’équilibre.

À la fin du rituel, l’encens demeure, le son de la grotte aqueuse persiste, et le lien qui nous a unis un temps, flotte avant de s’estomper peu à peu.




Marie Siguier


Mêlant la sculpture et la vidéo, Paulinea Brami tente de saisir la fugacité des processus organiques. Elle comprend le monde comme une atmosphère animée de mélanges métaphysiques incessants, de forces magnétiques, du mouvement perpétuel des particules élémentaires qui entrent en collision, forment des amas ou se dissolvent dans de plus larges fluides. Son travail entretient une relation étroite à la question du temps : les temps désynchronisés et irréconciliables des strates géologiques primitives et l’éphémère. Elle s’interroge sur la possibilité de créer de nouveaux écosystèmes pour faire face aux urgences environnementales, climatiques et sociales actuelles. Elle nous projette dans un monde hanté par de multiples possibles, où la domination de l’homme sur les autres règnes du vivant et la destruction massive de la nature par les technologies n’auraient plus cours. Cet horizon futurologique est appréhendé dans son œuvre comme un retour à la substance de toute chose : la matière.

Nothing in the Shell rassemble des œuvres récentes et de nouvelles productions réalisées lors de son échange à l’université des Beaux-Arts d’Islande en 2019. Avec ses sols craquelés, fumants, bouleversés, d’où surgissent les entrailles de la Terre, l’Islande est une terre d’extrêmes contrastes. Inspirée par les multiples dimensions de cette île, Pauline Brami fait renaître ce paysage sous la forme d’une installation inédite composée de sculptures en céramique et en cire, mêlées à des projections vidéo et des fumées. Dans "Deep Below the Stratosphere", elle met en scène le soulèvement d’une force tellurique, l’éveil des strates géologiques dans ce scénario d’un monde de chaleur où l’homme entrerait en fusion symbiotique avec la nature. Au sol, une force centrifuge, analogue au mouvement circulaire de la Terre est symbolisée par une étendue noire d’où surgissent des formes de vie originelles, nous amenant à saisir peu à peu le changement de hiérarchie entre les règnes… L’omniprésence d’ammonites traduit les spéculations de l’artiste face à cette lignée de fossiles, l’un des plus anciens signes de la vie sur terre, s’étant éteinte sans laisser de successeurs dans l’histoire de l’évolution. Associée au nombre d’or et à la suite de Fibonacci, sa forme spiralée évoque autant les nébuleuses célestes que la désintégration des fossiles dans le sol à l’origine du pétrole. Elle ressurgit par intermittence dans la vidéo "Nothing in the Shell", mêlée au chant des baleines, au rythme des marées, aux nuages de fumées et aux formes cellulaires, comme un nouvel écran de virtualité.